samedi 14 mai 2011

Modèle de recours au Tribunal Administratif


Bonjour chers collègues postiers. 

J'ai décidé de mettre à votre disposition ce modèle de recours contentieux contre la décision d'un directeur d'établissement de la Poste de prélever d'office des heures de RC, à la suite de l'organisation en 2010 des "périodes bleues" (7 lundis bleus et 4 semaines blanches).

A noter que les délais de recours sont stricts : un recours hiérarchique doit être formé dans les 2 mois suivants la décision préalable (le prélèvement lui-même ou la notification individuelle du prélèvement). Ce recours hiérarchique est obligatoire pour former un recours contentieux auprès du juge administratif. 

Un autre délai de 2 mois court après le silence ou le refus de l'administration. De sorte que le délai maximum de formation d'un recours contentieux ne peut excéder 4 mois.

Bien entendu, il s'agit d'un modèle dont les éléments ne s'appliquent pas forcément à tous les cas et qui pourrait sans aucun doute être enrichi d'arguments supplémentaires. Je les attends avec impatience dans vos commentaires. 

Je réponds à toute demande d'aide et de soutien.

Courage mes amis.

à
Monsieur le Président du Tribunal Administratif
de
adresse :
date

Recours EN ANNULATION pour excès de pouvoir

POUR :                       NOM PRENOM
Adresse:                       exacte et complète

n° de téléphone              
Grade :                          
Fonction :                      

CONTRE :  La décision du ….(date), aux termes de laquelle le directeur d’établissement de
            LA POSTE
            Nom de l’établissement
Adresses géographique et postale
exactes et complètes

a retiré x heures et x minutes de repos compensateurs du compteur personnel de repos du demandeur.


 Monsieur le Président du Tribunal,

J’ai l’honneur, par la présente requête introductive d’instance, de demander au Tribunal Administratif de …………., l’annulation pour excès de pouvoir de la décision de retirer x heures et x minutes de mon compteur de repos compensateurs et la réinscription de ces heures à mon compteur, dans les circonstances de fait et par les moyens de droit ci-après développés.
  
EXPOSE DES FAITS

Par décision du …….., le directeur d’établissement de………….a retiré x heures et x minutes de mon compteur de repos, sans mon accord ni écrit ni verbal et sans notification individuelle préalable. Pièce n°1  [La pièce n°1 est une copie de la décision du directeur l’établissement].

J’ai demandé deux fois, à la Poste la restitution de ces x heures et x minutes  :

·        Le ……….(date), par lettre recommandée avec accusé de réception, adressée au directeur d’établissement de…………..  Pièce n°2 [copie de la LR avec AR]
·        Le ……….(date), par lettre recommandée avec accusé de réception, adressée au directeur de la DOTC de  ………., supérieur hiérarchique du précédent. Pièce n°3 [copie de la LR avec AR]
A ce jour, La Poste n’a répondu, ni par écrit, ni verbalement, à aucune de ses demandes.

 LE CONTEXTE
La décision de la Poste faisait suite à la mise en place d’une organisation dite « période bleue »  sur la DOTC de …………., présentée à la CDSP du….(date) et entérinée au CTP du …..(date), sans l’accord d’aucune organisation professionnelle représentative. Pièces n° 4 et 5 [Copie des supports de la CDSP et du CTP]

Ce CTP fixait les principes de mise en place dans chaque établissement d’une organisation « allégée » devant répondre à une baisse prévue du volume de courrier et se traduisant notamment par une réduction des effectifs durant 4 semaines blanches et 7 lundis « bleus »  ou par une reprise de RC. [Ici indiquer les § du texte du CTP qui explicitent ces points précis)

 EXPOSE DES MOYENS

1.      Sur l’illégalité externe et formelle de la décision de La Poste.
Les points ci-dessous établissent que le directeur d’établissement n’a pas respecté les textes de la Poste, ni pour les modalités de prise des repos compensateurs, ni pour l’organisation des reprises de RC liées aux « périodes bleues ».

1.1  La reprise de x heures et x minutes  de repos compensateur n’est pas conforme à la circulaire du 21 décembre 2007 § 23, qui stipule que le repos compensateur doit obligatoirement être pris par journée ou demi-journée entière. Or, cette reprise de x heures et x minutes  est supposée s’étendre sur 40 journées. De plus, je n’ai signé aucun document autorisant ce prélèvement d’heures de repos.  Pièce n° 6  [Ici, copie du BRH 136 du 21 décembre 2007]

1.2  La reprise de RC s’est faite sans mon consentement et sans le consentement exprimé de TOUS LES AGENTS contrairement à ce qui est préconisé dans le §…. du texte du CTP.

1.3  La reprise de x heures et x minutes  a été uniforme pour tous les facteurs, quelle que soit la tournée à laquelle il était affecté alors que le §….du texte du CTP prévoit  une adaptation des reprises d’heures en fonction de la nature de la tournée (urbaine -rurale ou périurbaine). 

1.4  J’étais en congés durant 3 des 4 semaines blanches. Le prélèvement  qui m’a été fait est donc inéquitable en ce qu’il n’est pas proportionnel à mon temps de présence effective.


2.      Sur l’illégalité interne de la décision de La Poste et sa non-conformité avec les principe généraux du droit
Les points suivants pointent la carence du directeur d’établissement du Puy en Velay, pour s’assurer d’une part, de la baisse effective du trafic lors des lundis bleus et d’autre part, du temps de travail effectif de M. Thierry SAHUC.
 
2.1  Les documents servant de base à l’allégement des organisations sont de nature prévisionnelle, qui ne peuvent en aucun cas se substituer à un contrôle effectif de la durée de travail qui est de la  responsabilité de l’employeur.

2.2  Mes heures de prise et de fin de service n’ont pas été modifiées durant cette période bleue afin de réduire effectivement mon temps de travail de la journée.

2.3  Aucun contrôle managérial des heures de sortie et de rentrée des facteurs n’a été effectué dans l’établissement de ……… ce qui est contraire aux règles de fonctionnement des lundis bleus prévues par le texte de la CTP (§ x).

2.4  Il résulte des points précédents qu’il est parfaitement impossible à La Poste de déterminer si  j’ai ou non, effectué une journée de travail allégée durant cette période bleue. La réalité est même toute autre, puisque le trafic retenu artificiellement un jour, ne manque pas d’arriver le lendemain, voire les jours suivants, ce qui entraîne une augmentation des autres journées de travail.

2.5  Enfin, même si la Poste avait pu effectivement « creuser » artificiellement certaines journées de travail, ce qui n’a pas été le cas, le directeur d’établissement de…… ne s’est pas donné les moyens de mesurer individuellement et précisément l’impact de son organisation sur mon temps de travail effectif et ne peut donc en aucun cas justifier ni de la quantité ni de la légitimité de son prélèvement de x heures et x minutes .

 Par ces motifs, et tous autres à produire, déduire ou suppléer, au besoin d’office, je conclus qu’il plaise au Tribunal :

  • d’une part, d’annuler la décision attaquée.
  • d’autre part, d’enjoindre La Poste à me restituer les x heures et x minutes  prélevées, en vertu de l’article L911.1 du code de justice administrative.
Fait à ………, le  (date)

Signature


Les Lettres du Placard (épisode 1)



Claire F est cadre dans une entreprise publique, que nous appellerons « l'Entreprise ». 
A l'occasion d'un énième plan de restructuration dénommé 'projet encadrants', elle a été mise sur la touche, comme beaucoup d'autres. 
Elle coulait donc des jours heureux dans son placard doré, lorsque soudain....

 
Message de Sonia à Claire F.

Bonjour Claire
Sauf erreur de ma part, vous n’êtes pas inscrits à la réunion encadrants du …..
Je vous remercie de confirmer votre présence ou de m’indiquer le motif de votre absence à cette rencontre, pour laquelle la présence de tous les cadres est requise.
Cordialement
Sonia.




Réponse de Claire F à Sonia
Bonjour Sonia,
Pour expliquer mon absence, je pourrais, par égard pour votre gentillesse, vous donner une poignée de raisons aussi fausses que plausibles. Telles que : j’ai un rendez-vous chez l’ophtalmo, il y a un préavis de grève à la SNCF, ma voiture est en panne, ma belle-mère est à l’hôpital etc…

Mais je refuse de faire insulte à votre intelligence (et à la santé de ma belle-mère) en usant de ces faux prétextes, si couramment employés par nombre de mes collègues, pour échapper à la Grand Messe des Cadres de la région.

La vérité est que je n’irai pas parce que je ne le veux pas.

Je passe rapidement sur la quasi obligation de faire 280 kilomètres avec mon propre véhicule. Au prix actuel des carburants,  cette obligation, quoique implicite pour ceux qui n’ont pas de véhicule de service, n’en reste pas moins abusive.
 Je passe aussi sur l’ennui abyssal de ce genre de réunions, destinées à valoriser ceux qui les animent, au grand dam de l’intelligence de ceux qui les endurent, sans parler de leur fessier.
 Dans la même veine, je passe aussi sur la qualité médiocre des repas servis à midi, car je me targue d’avoir des goûts frugaux et même quasiment spartiates.

En revanche, il est un point qui me tient un peu plus à cœur : j’ai la faiblesse d’accorder quelque importance à ma propre situation pour déterminer mes choix.
 Pour la forme, car je sais que vous connaissez cette péripétie, je vous rappelle que j’ai été chassée de mon poste de travail de TrouduculduMonde, dans le cadre du ‘projet encadrants’. De toute évidence, n’étant pas « dans la ligne », j’ai été proprement éliminée sans hésitation ni froncement de sourcil, par le directeur d’établissement. D’aucuns prétendront qu’au contraire, j’étais totalement dans la ligne… de mire.

Evincée, éliminée, éloignée voire évacuée, je me retrouve sur un poste inexistant, totalement seule au second étage d’un immeuble qui commence à ressembler au Vaisseau Fantôme, romantisme en moins. Bref, je suis dans un placard,  comme on dit dans notre siècle rationnel où les salariés sont appréhendés comme des lignes comptables, des EAA, des EUTC, des êtres abstraits qu’on peut ranger dans des tableaux et écarter dans des placards.

Dans mon placard, donc, je lutte depuis des mois pour continuer à sourire et à ne pas reprendre l’habitude de fumer. Je dois avouer que ces deux objectifs, surtout le premier, épuisent totalement mes capacités de mobilisation professionnelle. De fait, si je continue à sourire à ma famille, à mes voisins, à mes amis, je ne me sens pas prête à sourire à la totalité des cadres de la région. Exclue de fait de cette communauté d’encadrants, comme d’ailleurs de toute réalité professionnelle concrète, je m’y sentirais à peu près aussi à l’aise que Dark Vador ou le Huron ou les deux.

Vous avez sans doute compris que ces aventures désormais ordinaires d’un cadre de l’Entreprise m’ont néanmoins jeté dans un trouble profond, quelque peu teinté de colère mais surtout de doute. Je ne sais plus très bien ni ce que je vaux ni ce que je veux. Mais, note d’espoir, cette réunion m’éclaire en revanche totalement sur ce que je ne veux pas.
Bien cordialement,
Claire F

jeudi 12 mai 2011

Les lettres du Placard (épisode 2)


La suite des aventures de Claire F, cadre de l'Entreprise, mutée dans un placard.

L'actualité se focalisant à nouveau sur les suicides de salariés, en ce printemps 2011,  Claire F reçoit soudain un mail de sa hiérarchie.



 
 

Message de Sonia à Claire F.
Bonjour Claire,
J’essaie de vous joindre par téléphone mais sans succès, sur le créneau horaire  que nous avons défini pour nos rendez-vous téléphoniques en cas de besoins :  Le mardi entre 11H et 12H. Je vous remercie de me rappeler au ….
C’est urgent. A très bientôt au téléphone
Cordialement
Sonia.




Lettre de Claire F au directeur régional de l’Entreprise.
 
Objet :  Supplique pour ne pas être enterrée dans un placard doré
Monsieur le directeur,
Il semble que je mette si peu d’espoir en ma requête, que j’ai décidé de l’émailler de quelques traits sarcastiques. D’espoir, il ne m’en reste guère, aussi je me garde de le gaspiller. Quant au sarcasme, c’est la seule parade que mon esprit a trouvé pour ne pas sombrer corps et biens, dans un des virages hasardeux de la courbe du deuil.
 
J’ai été heu… comment dire, écartée, virée, balayée de mon emploi de cadre du TrouduculduMonde, à l’occasion du « projet encadrants ».  Je ne reviens pas sur les circonstances de cette élimination ni sur les péripéties ultérieures de ma carrière, parce que j’aime l’originalité. La resucée de centaines d’histoires de cadres mis sur la touche, n’a rien de très captivant.

Or, je ne me résigne pas à cette mise sur la touche. Je souhaite reprendre sinon mes fonctions, du moins des fonctions à la plateforme du TrouduculduMonde. Je n’ignore pas les difficultés de cet établissement. Avec l’humilité qui me caractérise, je pense pouvoir contribuer à y améliorer l’ambiance sociale et même peut-être, qui sait, à y amender l’organisation.

Il se trouve que le dernier avatar de mon parcours est la fonction de préventeur, fonction que j’occuperais avec infiniment plus de conviction si j’avais un secteur d’intervention, un véhicule pour le sillonner et par dessus tout, un contact permanent avec les agents d’un secteur précis. Si vous ne pensez pas que seul ce contact permet d’évaluer avec précision la dimension des risques et leur prévention efficace, alors déchirez cette lettre. En effet, nous n’avons rien à nous dire.

Bref, il m’est apparu qu’un préventeur ne ferait pas désordre dans l’établissement du TrouduculduMonde, en tout cas, pas plus que dans un placard sinistre une direction départementale à moitié au trois-quarts vide, chargée d’une fonction fantôme dans laquelle je ne sers à rien ni à personne.

J’ai travaillé 2894 jours au TrouduculduMonde. Il semble que pendant au moins 2374 jours, j’ai donné satisfaction à mes supérieurs hiérarchiques successifs. Certes ce n’est pas parfait mais c’est en adéquation avec la loi de Pareto, comme quoi je suis tout à fait capable d’obéir à certaines conformités.
Claire F



Message de la directrice des RH à Claire F.
Bonjour Mme F,
Suite au courrier que vous adressez au directeur régional, je vous informe que je vous recevrai avec Sonia  le mardi …. à 10H à la  direction régionale pour évoquer avec vous votre situation professionnelle.  Dans l’attente, je vous demande de répondre sans délai à  Sonia quant à la prise en charge de la formation d’après-demain.    Corinne L.




Réponse de Claire F à Corinne L
Bonjour Mme L
Sauf erreur, je n’ai pas demandé à ce que vous me receviez.

Si vous-même, souhaitez me voir, ce que je peux comprendre, compte tenu de l’attrait pour ma personnalité que vous avez manifesté en d’autres temps, je vous recevrez volontiers dans mon bureau qui, quoique fort isolé, est spacieux et bien éclairé.

Ne voyez dans mon attitude aucune ironie ni provocation de ma part. Qui pourrait croire cela ? Je me déplacerais volontiers si j’avais le moindre espoir que vous puissiez faire avancer ma « situation professionnelle », comme vous le dîtes si joliment.
En effet, vous faisiez partie, avec MM. D et R, du jury qui m’a éliminée froidement de l’établissement du TrouduculduMonde et l’expérience m’a appris qu’il est fort rare que les êtres humains se déjugent eux-mêmes, fussent-ils aussi ouverts à la discussion que vous l’êtes.

En d’autres termes, vous m’avez  humiliée et blessée une fois, sans jamais ni vous en expliquer, ni vous en excuser et je ne tiens pas follement à renouveler cette expérience, étant comme vous pouvez le constater dans un virage délicat de la courbe du deuil.
Claire F.


Réponse de Corinne L à Claire F
Mme F,
Il se trouve que je suis la responsable du service au sein duquel vous exercez vos activités depuis plusieurs mois, et que je souhaite vous rencontrer. La décision m’appartient quant au lieu de cette rencontre. Je vous demande donc d’être présente mardi prochain à 10H à…..
Par ailleurs, toujours en tant que responsable du service, je vous demande également de bien vouloir répondre aux mails, demandes de rendez-vous (y compris téléphoniques), et convocation à des réunions de la part de Sonia, votre responsable hiérarchique.
Je tiens à appeler votre attention sur l’incohérence qu’il y aurait de votre part à vous plaindre d’être isolée, d’une part, et à vous dérober à tout échange avec votre hiérarchie d’autre part.
 
Sachez que je suis attachée à ce que votre activité professionnelle se déroule dans les meilleures conditions possibles. Je suis prête à discuter avec vous de ces conditions et des activités qui vous sont confiées. Je ne peux néanmoins pas vous laisser dire que le métier de préventeur est un placard et qu’il ne sert à rien (vous seriez en tout cas la seule à le penser). L’entreprise a besoin de préventeurs (et donc l’entreprise a besoin de vous), encore faudrait-il que vous manifestiez, pour ces missions, un peu d’intérêt et d’implication personnelle.
Corinne L

Réponse de Claire F à Corinne L
Madame L
Vous avez une conception bien étrange de  mon isolement  si vous pensez que des contacts par mail ou par téléphone, avec ma hiérarchie soient susceptibles de  le rompre. Je vous remercie cependant de m’avoir répondu, sans abuser de ce style comminatoire que vous semblez apprécier.

Pour moi, être isolée, c’est avoir été coupée brutalement et sans pitié aucune, de tout ce qui faisait ma vie professionnelle depuis 8 ans à le TrouduculduMonde : mon bureau, mes collègues, ces liens que j’avais construits, ce travail que j’avais accompli et que j’aimais, ces connaissances que j’avais accumulées, cette expérience humaine dont je m’enrichissais.

Vous avez rayé tout cela d’un sourire méprisant lorsque nous nous sommes rencontrées lors de ce jury de « recrutement » du projet encadrant. Vous m’avez simplement demandé, avec l’intention évidente de me piéger, si j’étais prête à obéir sans état d’âme et sans discussion, à des consignes de l’Entreprise, au cas où elles iraient à l’encontre de mes convictions. Je ne sais de quelles convictions nous parlions exactement, car j’en avais en vérité fort peu. Seulement celles que je tirais de mon expérience quotidienne et de la complexité des relations sociales dans un établissement tel celui du TrouduculduMonde. Il se trouve que ces convictions-là tenaient en peu de mots : JE VOULAIS QUE LES GENS SOIENT HEUREUX DE VENIR AU TRAVAIL. Alors je vous ai répondu quelque chose comme : « Non, pour que j’obéisse, il faut que je sois convaincue. Convainquez-moi ».

Donc, convainquez-moi que vous rencontrer puisse amener quoi que ce soit de positif à mon activité professionnelle.

J’ai exprimé clairement, non sans persiflage je vous l’accorde, que je souhaitais retrouver un poste d’encadrant au sein du TrouduculduMonde, comme préventeur ou autre.  Je n’ai aucune envie de discuter des conditions de mon activité actuelle, sans que la question précédente ne soit envisagée et discutée. Car, voyez-vous, pour moi, être heureuse et passionnée par mon travail, ce n’est pas qu’une question de conditions, c’est aussi une question de justice et de dignité.

Comprenez qu’il est, pour l’heure, un peu indécent de me demander de l’intérêt et de l’implication personnelle alors que celles dont je faisais preuve dans mon emploi précédent ont été si impitoyablement  sanctionnées.
Claire F.

vendredi 6 mai 2011

Attention, les virages de la courbe du deuil sont dangereux



Les papillons noirs de Majdanek

ça commençait super mal cette histoire de courbe du deuil, puisque, rappelons-le, les étapes qui ponctuent son tracé harmonieux et élégamment ascendant, sont celles qui, selon Elisabeth Kübler-Ross, mènent à l’acceptation de sa propre mort. Pas la perte d’un proche ni celle d’une petite amie ni celle d’un emploi ni celle d’une habitation. Non, il s’agit de conceptualiser l’itinéraire de l’esprit vers la perte suprême, la perte absolue : celle de sa propre existence.

C’est lors d’une visite au camp de concentration nazi de Majdanek, en Pologne, qu’Elisabeth Kübler-Ross eut l’intuition de ce cheminement intérieur en contemplant les papillons noirs dessinés sur les murs, par des enfants juifs. Elle le formalisera plus tard, lors de discussions avec des malades en phase terminale et distinguera les cinq fameuses étapes qui font les choux gras de nos managers contemporains : le déni, la colère, le marchandage, le chagrin et l’acceptation.

Bref, le contexte est posé. Entre la tragédie collective la plus épouvantable de l’Histoire et la perte la plus irréparable qu’un être humain puisse ressentir, la courbe du deuil, c’est pas du pipi de chat. C’est du lourd, du poignant 10n. A priori, le gars qui a la courbe du deuil dans le cerveau quand il vous cause de changement, il ne vous veut pas que du bien et sa vision de votre avenir n’est pas marquée au coin de la pensée positive.

La conduite du changement

Mais bon, vous, simple salarié, dans votre inculture savamment entretenue par le pouvoir en place, vous n’êtes pas censé connaître la courbe du deuil. Avant d’être rendue publique par un ancien directeur régional de France Télécom, elle faisait partie de l’attirail secret dispensé avec discrétion dans les séminaires de management, aux cadres dirigeants puis répercuté aux cadres dirigés, incluse dans un programme plus vaste intitulé « la conduite du changement ». 

Or, c’est bien connu, nous les petits, les sans grades, les squatters du bas de l’échelle sociale, on déteste le changement. On a peur de l’inconnu, l’avenir nous angoisse, on s’accroche à des valeurs et à des acquis, on est incapable de s’adapter si le chef ne nous tient pas la main. Bref, il faut qu’on nous accompagne. Enfin, pour les 80% concernés. Car il faut savoir que, selon la loi de Pareto, pour tout projet de changement annoncé, il y a 10% d’alignés inconditionnels (les Yes men) et 10% d’opposants irréductibles (les No and No men). Les 80% restants forment la masse des indécis ou des indifférents qui basculera vers où on la poussera.

Et voilà nos managers armés de courbes savantes et de diapositives Powerpoint, lancés dans les services pour annoncer la Bonne Nouvelle d’un avenir radieux pour l’entreprise en général et chacun des employés en particulier, puisque ce qui est bon pour l’entreprise est bon pour le salarié. CQFD.

Qu’est-ce qui foire ?
Bon. Ça a peut-être marché un temps, pendant une dizaine d’années, lorsque ce type de management fondé sur la communication collective et la psychologie individuelle, venant se substituer à un management fondé sur l’autorité et la négociation sociale, a eut l’attrait de la science et de la nouveauté. Et puis ces diapos Powerpoint avec leurs petits bonshommes animés, leurs représentations colorées, leurs diagrammes expressifs, c’était tellement plus commode à appréhender qu’une aride note de service de 43 pages.

Mais avec le temps, la multiplication et la répétition intenses des restructurations, des réorganisations, des plans sociaux a eu pour effet de casser totalement l’individualisation de la conduite du changement. Quand tout change et tout le temps, tout devient pareil, c’est à dire, confus. On ne sait même plus faire la différence entre l’avant et l’après. Tout le monde se retrouve à la même enseigne, cadres compris. Du coup, ceux qui sont censés suivre les salariés dans les méandres de la courbe du deuil, sont eux-mêmes en train de la parcourir avec plus ou moins de bonheur. Rares sont ceux qui sortent indemnes de ce perpétuel brassage des fonctions et des compétences. Peut-être ces 10% de Yes Men, qui traversent toutes les tempêtes comme des canards, sans se mouiller les plumes.

Le sentiment de n’être plus qu’un pion que l’on peut déplacer à la convenance d’une force puissante et non identifiée, une quantité négligeable au service de sa propre disparition pousse indifféremment les cadres et les employés à se supprimer, puisque c’est justement l’objectif de la courbe du deuil : accepter sa propre mort.